China Labour Bulletin is quoted in the following article. Copyright remains with the original publisher
Le 01-09-2015
Par Philippe Revelli
Ma Wan Ki, la trentaine, longue queue de cheval et sourire timide, est militant de la Ligue social démocrate – un petit parti politique de gauche qui dispose d’un représentant au Conseil Législatif. Jusqu’aux derniers jours d’Occupy Central, il s’est impliqué corps et âme dans le mouvement et continue de penser que, lors de ces quelque trois mois passés à camper sous les fenêtres du Conseil législatif et aux carrefours de grandes artères commerciales de la ville, la jeunesse hongkongaise a écrit une page d’histoire. Aujourd’hui, pourtant, il parle de démobilisation, de frustration, d’exacerbation des sentiments antichinois qui font le jeux d’une extrême droite xénophobe – des touristes venus de Chine continentale ont été agressés – et, quand on lui demande de citer les conséquences positives du mouvement, le long silence qui suit est éloquent.
Comment en est-on arrivé là ? En 1997, l’ancienne colonie britannique de Hong Kong est devenue une « Région administrative spéciale » de la République Populaire de Chine. Un état deux systèmes : Hong Kong est régie par une Loi Fondamentale (sorte de constitution) qui garantit le respect de la liberté d’expression, d’association, de manifestation, d’opinion politique ou religieuse, entérine une économie capitaliste et prévoit l’élection d’un Conseil Législatif et d’un gouverneur.
Le mandat de l’actuel chef de l’exécutif, Mr Leung ChunYing s’achève en 2017 et, pour la première fois dans l’histoire de Hong Kong, des élections auraient du avoir lieu au suffrage universel. Mais le projet de loi portant sur la modification du mode de scrutin précisait que seuls deux à trois candidats, triés sur le volet et approuvés par Pékin, auraient été autorisés à se présenter devant les électeurs. Inacceptable pour nombre de hongkongais qui ne manquent jamais de commémorer la répression de la place Tienanmen.
Fondé début 2013, le mouvement Occupy Central with Love and Peace revendique des élections véritablement libre et prône la désobéissance civile pacifique comme forme d’action en ultime recours. En juin 2014, il organise un référendum auquel participent quelque 800 000 hongkongais qui votent massivement en faveur d’élections libres et sans restriction. Mais les autorités hongkongaises, alignées sur les positions de Pékin, se montrent inflexibles. Fin septembre 2014, étudiants et lycéens se mettent en grève et tentent d’occuper des bâtiments administratifs. La police riposte à coup de grenades lacrymogènes et arrête plusieurs leaders de la Fédération des étudiants et de l’organisation lycéenne Scholarism. Les hongkongais descendent par milliers dans la rue pour soutenir les étudiants. Les leaders d’Occupy Central se rallient au mouvement. Les parapluies utilisés par les manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes sont largement médiatisés dans la presse internationale et sur les réseaux sociaux : le Mouvement des Parapluies vient de naître.
Rassemblant un éventail de sensibilités allant de l’extrême droite violemment anti-chinoise aux groupuscules de gauche en passant par les organisations étudiantes sans idéologie bien définie, les formations politiques de la mouvance pan-démocrate, des syndicats et une jeunesse qui fait l’expérience jubilatoire de l’action collective, le Mouvement des parapluies déborde les leaders d’Occupy Central et devient rapidement incontrôlable. Il s’achève à la mi-décembre, quand la police démantèle les derniers campements… sans que les manifestants aient obtenu la moindre concession de la part des autorités.
Intellectuel de gauche et collaborateur du blog China Labour Net, Au Loongyu a soutenu le mouvement tout en portant sur celuici un regard critique. Aujourd’hui, il dresse un constat sans concession :
« Les (rares) groupes de gauche actifs durant le Mouvement des Parapluies sont désorientés, ne savent pas quoi faire, ne se parlent pas et sont incapables d’envisager la constitution d’un front commun. La Fédération des Étudiants de Hong Kong, fer de lance du mouvement, a éclaté et quatre des huit organisations qui la composaient l’ont quitté. Le camp pan-démocrate est divisé et les formations politiques qui le composent ne remettent pas en cause un capitalisme générateur d’inégalités abyssales »
Quant à Han Dongfang, emprisonné plusieurs années durant à la suite des événements de Tienanmen et aujourd’hui directeur du China Labour Bulletin, il considère que :
« Se battre pour des élections libres était important, mais pas suffisant (…) que prétendre que les privatisations sont un remède contre l’inefficacité ou que le marché « libre » doit réguler la société et constitue la voie royale garante de démocratie sont des foutaises ! La démocratie véritable, assène-t-il, c’est le droit des travailleurs à négocier avec leurs employeurs, face à face et sur un pied d’égalité »