China Labour Bulletin is quoted in the following article. Copyright remains with the original publisher
29 January 2013
By Raphael Balenieri
La zone économique de Yizhuang a des allures de ville fantôme. Pas un passant ne vient troubler le silence épais qui enveloppe ces longues avenues situées au-delà du cinquième périphérique, à l'extrême sud de Pékin, dans le district de Daxing. Sur les trottoirs encore verglacés, quelques vélos recouverts de neige attendent leurs propriétaires. Au loin, des grues s'affairent sur des tours en construction dans un horizon ouaté de pollution.
C'est ici que le géant taïwanais Foxconn, premier producteur mondial de composants électroniques, a choisi d'établir ses locaux pékinois, en 2002. Trois bâtiments gris souris gardés comme des bunkers dans lesquels travaillent 9 000 employés. En dessous des fenêtres, d'étranges filets ont été tendus. "Ils ont été installés en 2010, après la vague de suicides à Shenzhen" raconte une employée du cybercafé de l'usine. "La direction a eu peur des défenestrations, mais finalement, il ne s'est rien passé. La pression est moins forte ici", poursuit-elle. Il y a trois ans, à Shenzhen, 18 personnes s'étaient suicidées en se jetant par les fenêtres des dortoirs de cette "iPod city" - surnom donné à la manufacture historique du groupe où est assemblé le célèbre baladeur d'Apple.Revendication salariale
La semaine dernière, pour la première fois, la grogne est arrivée à Pékin. Entre 300 et 400 salariés de l'usine de Daxing se sont mis en grève, mardi 22 janvier, après avoir appris que leurs salaires ne seraient pas augmentés en 2013 et que la traditionnelle prime du nouvel an chinois ne serait pas versée. "Après le dîner, vers 17 heures, les ouvriers ne sont pas retournés sur les chaînes de production. Ils ont occupé le réfectoire au lieu de faire leurs heures supplémentaires", explique un employé qui réclame l'anonymat. "C'est d'ailleurs un peu excessif de parler de grève, car plus tard dans la soirée, tout est redevenu normal", précise-t-il. Après négociation, la direction aurait répondu aux revendications en promettant une hausse des salaires et le versement de ladite prime. Sans toutefois en préciser le montant ni le calendrier.
Contacté par téléphone, Foxconn a répondu très rapidement avec un communiqué minimisant les faits à une simple "réunion de service" de deux heures avec ses ouvriers et des membres de la direction du personnel. "Contrairement à ce qu'ont affirmé des médias sur Internet, il n'y a pas eu de conséquences sur la production", a précisé le groupe taïwanais, rejetant des rumeurs "infondées et complètement inexactes".
Mais la mobilisation est, en revanche, suffisamment rare pour inquiéter les autorités de la capitale. Si la presse officielle chinoise est restée muette sur le sujet, le site d'information économique Caixin a rapporté que des policiers armés avaient été dépêchés en urgence. "Des collègues m'ont confirmé que la police attendait devant l'entrée. Tout cela a commencé à cause de cette histoire de prime. L'activité n'est pas bonne cette année", explique un autre employé.
Agitation périodique
Fondé en 1974 par le milliardaire taïwanais Terry Gou, Foxconn est le plus gros employeur privé de Chine. Domicilié à Taiwan, ce sous-traitant emploie plus d'un million d'ouvriers dans 13 centres de production répartis dans toute la Chine. Cette multinationale s'est fait un nom en fournissant 40 % des pièces détachées électroniques aux plus grandes marques internationales du high-tech, Apple en tête. Mais ce sont surtout les conditions de travail de ses ateliers qui lui valent, régulièrement, les gros titres de la presse étrangère. En janvier 2012, une enquête au long cours menée sur le terrain par le New York Times avait révélé l'ampleur des abus : heures supplémentaires non rémunérées, stages forcés, utilisation à grande échelle de produits nocifs pour la santé...
Les usines chinoises de Foxconn sont donc régulièrement agitées. En octobre 2012, 200 employés chargés du contrôle de la qualité de l'iPhone 5 s'étaient mis en grève à Zhengzhou, capitale de la province du Henan, au centre du pays. Un mois auparavant, une grande émeute à Taiyuan, où Foxconn emploie près de 80 000 personnes, avait elle aussi dégénéré. Historiquement implanté dans le sud de la Chine, le groupe s'installe désormais dans les provinces intérieures, où la main-d'oeuvre est abondante et les salaires plus faibles. Mais partout Foxconn provoque des contestations.
À Pékin, siège du pouvoir, de telles tensions sont cependant plus rares. La proximité des autorités centrales décourage les mobilisations. "Si 1 000 ouvriers à Pékin manifestent dans la rue et perturbent le trafic, cela va être interprété par le pouvoir comme une menace directe à la stabilité sociale", analyse Geoffrey Crothall, directeur de la communication au China Labour Bulletin, une ONG basée à Hong Kong spécialisée dans la contestation ouvrière, très forte en Chine depuis 2010.
Période tendue
Les semaines précédant les fêtes du nouvel an chinois sont traditionnellement une période sensible pour les fabricants comme Foxconn. À ce moment-là, les chefs d'entreprise sont censés distribuer les primes annuelles et les ouvriers rentrent pour les fêtes en famille. Mais c'est également la période de l'année où la demande est la plus forte. Le nouvel an, qui commence cette année le 9 février, est en effet l'occasion d'offrir des cadeaux à ses proches et aux membres de son réseau professionnel. Résultat, ces virées shopping provoquent une accélération des cadences - au moment même où la main-d'oeuvre se raréfie à cause des départs en vacances.
Très connectées à Internet et connaissant mieux leurs droits, les nouvelles générations de travailleurs migrants savent que, dans ce contexte, leur action a plus de chance d'aboutir. Alors, avant de partir retrouver la famille restée en province, beaucoup manifestent ou font grève pour obtenir des arriérés de salaire ou des primes qui leur avaient été promises. À Daxing, le calme est revenu. Les deux cerbères postés à l'entrée de Foxconn y veillent.