China Labour Bulletin Deputy Director Cai Chongguo is profiled the following article. Copyright remains with the original publisher
Par Brice Pedroletti,
le 15 octobre 2014
Cai Chongguo, personnalité du mouvement de Tiananmen, aujourd’hui résident de Hongkong, note que comme en 1989, les négociateurs n’ont pas de pouvoir de décision.
Les manifestations étudiantes à Hongkong et l’occupation dans la durée d’un vaste espace public, devenu un lieu de débat et de communion politique, évoquent le souvenir des deux mois de mobilisation de 1989 sur la place Tiananmen à Pékin. Malgré toutes les différences entre les deux événements, leur contexte historique et les deux systèmes distincts dans lesquels ils ont lieu, le fantôme de Tiananmen occupe une très large place dans les esprits à Hongkong, en raison du rôle qu’a joué alors la colonie britannique dans l’exfiltration des militants chinois, et de la place unique de Hongkong, depuis lors, comme gardien de la mémoire pour cette tragédie. Cai Chongguo, qui était âgé de 34 ans en 1989 et doctorant en philosophie à Wuhan, fait partie des personnalités qui se sont retrouvées ciblées après le massacre du 4 juin en raison de leur implication dans le mouvement. Il vit aujourd’hui à Hongkong, où il collabore à l’ONG China Labour Bulletin. Il revient pour Le Monde sur la manière dont les deux événements se font écho l’un à l’autre.
Quand vous avez vu la jeunesse de Hongkong descendre dans la rue et organiser l’occupation de l’espace public, cela vous a-t-il fait penser à Tiananmen ?
C’était tout à fait inattendu. Il y a beaucoup de similarités, le mouvement étudiant hongkongais a dépassé les politiciens, et même les trois fondateurs d’Occupy Central. Cela montre à quel point il a surpris. En 1989 aussi, ça s’est passé comme ça. Comme en 1989, on a vu Pékin recourir à l’argument classique de la manipulation et du désordre. Dans les deux cas, on a un mouvement avec un large soutien populaire, dans lequel la presse s’implique.
Comment joue cette relation très spéciale qu’entretient Hongkong avec la mémoire de Tiananmen ?
En 1989, Hongkong était l’endroit qui a envoyé le plus de journalistes sur place. Les militants démocrates à l’époque nous avaient soutenus et ce sont eux qui nous ont sauvés en organisant notre évasion de Chine. Tous les Hongkongais ont suivi de très près les deux mois de mobilisation de 1989. Avant cela, ils étaient indifférents à ce qui se passait en Chine. Ils avaient l’image de paysans et de gens arriérés – on disait « l’oncle chinois » pour désigner les continentaux. Avec les manifestations, ils ont découvert ces étudiants poussés dans leurs extrémités, ils ont appris à les aimer. La répression de 1989 a laissé un traumatisme très profond à Hongkong. Pour nous, c’est du passé, pour eux, ça ne passe pas.
« Pour nous, 1989, c’est du passé, pour eux, ça ne passe pas »
1989 est très présent, des messages affichés par les protestataires y font allusion. Les gens en parlent, il y a une obsession de 1989. On entend dire : « En 1989 aussi, les étudiants étaient nombreux et joyeux ». On parle d’éviter « un massacre comme en 1989 ». Quand j’ai vu l’ampleur qu’ont prise les manifestations, j’étais à la fois excité, heureux et inquiet. Heureux de voir enfin des étudiants s’intéresser à la politique.
Quelles sont les pièges que les protestataires doivent éviter ?
Je connais ce mécanisme de mouvement de masse. Les responsables politiques démocrates expérimentés ont été marginalisés. Cela rend difficile les négociations. Il y a un risque de débordement, même s’il est impressionnant de constater combien les gens sont disciplinés. L’autre risque, c’est que les étudiants et le camp pan-démocrate veulent pouvoir discuter avec le gouvernement hongkongais, mais celui-ci n’a pas la compétence de le faire. C’est Pékin qui décide, qui est loin, et ne subit pas la pression directe du mouvement. Comme en 1989, quand Li Peng et Zhao Ziyang ont fait face au mouvement étudiant et ont subi sa pression. Or, c’étaient les « anciens » derrière, Deng Xiaoping, Li Xiannian [ex-président chinois], qui décidaient. Les négociateurs ne sont pas les décideurs. Les décideurs ne subissent pas la pression. Face à des gens qui ne peuvent pas décider, les manifestants peuvent se radicaliser. Il y a aussi le risque de division de la population et du camp démocrate. Il y a toujours dans ce genre de mouvements des jusqu’au-boutistes qui refusent de négocier, et d’autres qui pensent que c’est un effort à long terme. À Hongkong, les négociateurs sans compétence font face à un mouvement sans véritables dirigeants.
Hongkong aujourd’hui n’est pas Pékin en 1989, la Chine n’est plus pareille, elle est beaucoup plus mondialisée, il y a plus d’interdépendance économique entre les pays. Mais le rapport de force a aussi évolué, la Chine craint moins les pressions directes de l’Occident.
Le régime chinois n’a-t-il pas péché par excès de confiance ?
Cette génération descendue dans la rue à Hongkong rêvait d’une élection équitable. La décision de l’ANP [Assemblée nationale populaire, le Parlement chinois] est difficilement acceptable pour les Hongkongais qui ont une culture démocratique. A Hongkong, il y a une société civile, des ONG, des syndicats, ils savent ce que c’est le vrai suffrage universel. Voter alors que les candidats sont présélectionnés va contre les habitudes des gens.
« En Chine, les gens n’ont pas l’habitude de voter. À Hongkong, on vote presque tous les jours »
En Chine, les gens n’ont pas l’habitude de voter. À Hongkong, on vote presque tous les jours, il y a les élections d’associations, de députés, d’arrondissement. Les gens ont l’habitude de voir des candidats différents s’affronter. C’est aussi pour cela que beaucoup de gens en Chine ne comprennent pas, pour eux, voter est en soi un progrès. Le gouvernement chinois a fait comme s’il s’agissait d’un simple problème technique, et au lieu d’être animé par une vision politique, a laissé agir depuis trois ans les responsables de « branches » – le Bureau des affaires de Hongkong et Macao [ministère chinois chargé de Hongkong et Macao] et le Bureau de liaison [qui représente à Hongkong le gouvernement central] pour mener la réforme électorale. Ils ont voulu prendre le moindre risque, avoir une sécurité absolue, en faisant en sorte d’exclure des candidats démocrates. Cela détruit toute légitimité au suffrage universel, c’est une vision à courte vue car sans légitimité, il n’y a pas de tranquillité, cela entraînera forcément des protestations, qui du coup vont amener le gouvernement chinois à monter en première ligne. Dans la réalité, les démocrates ont l’image de protestataires, ils n’ont pas eu l’opportunité de gouverner. Et un candidat démocrate a peu de chances d’être élu, car les gens votent de manière très pragmatique.