Liberation: République populaire de «Sin»

22 May 2013

China Labour Bulletin is quoted in the following article. Copyright remains with the original publisher.

17 May 2012

Didier Peron

En 2003, un jeune travailleur migrant, Sun Zhigang, est battu à mort par des policiers. Son tort : ne pas avoir de permis de résidence à Canton, où il venait d’arriver pour bosser dans une usine de meubles. Ce crime a mis toute la Chine en émoi, jetant une lumière crue sur la non-protection totale des individus face aux forces légitimes de l’Etat.

Sauna. Ces dix dernières années, le pays n’a cessé de voir augmenter les voix des protestataires qui dénoncent, par le biais d’Internet, des grèves et des pétitions, les nombreuses injustices dont les citoyens les plus pauvres, les plus démunis, sont victimes. Le site du China Labour Bulletin, basé à Hongkong, fait, par exemple, un inventaire sans cesse renouvelé des conditions lamentables de travail dans les grandes entreprises, qu’elles soient d’Etat ou privées, l’exploitation de la main-d’œuvre, l’absence de couverture sociale, la difficulté à faire entendre des revendications collectives, l’iniquité des salaires et la course inflationniste des prix du logement… La «croissance harmonieuse» voulue par les dirigeants est une douce musique qui est accompagnée d’un raffut en sourdine de dizaines de milliers d’insurrections, de couacs et de faits divers saisissant d’épouvante l’opinion.

C’est cette matière brûlante que Jia Zhangke travaille dans Touch of Sin. Il a d’abord recensé dans les journaux des histoires de meurtres, de suicides, de rixes dans différentes régions du pays, et il a enquêté avant d’en faire une traduction fictionnelle. Touch of Sin raconte quatre parcours et quatre moments paroxystiques dans la vie de Chinois sans grades. Le film s’ouvre sur le combat de Dahai (Jiang Wu), un mineur qui ne comprend pas pourquoi lui et ses camarades n’ont pas touché les dividendes de la revente de leur entreprise au secteur privé. Réclamant des comptes, il interpelle le patron à sa descente de jet. Il est récompensé de son insolence à coups de pelle dans la figure, et il se venge en s’armant d’une carabine qui va beaucoup lui servir pour, semant la mort et le chaos, rétablir le droit.

Le récit colle ensuite aux basques d’un type épris d’armes à feu qui s’ennuie et tue au petit bonheur la chance dans une sorte de glissade psychotique au milieu d’une foule d’indifférents.

Western. La troisième histoire se focalise sur une femme, Xiao Yu, hôtesse d’accueil dans un sauna, un boulot qu’elle a la faiblesse de croire honnête, mais où la demande de «massage complet» arrive vite et (en cas de refus) se termine mal. Cet épisode s’inspire, semble-t-il, du cas d’une pédicure de la province de Hubei qui avait poignardé en 2009 un bureaucrate local, après que celui-ci l’a giflé avec une grosse liasse de billets en la traitant de pute.

Enfin, Jia Zhangke enchaîne avec ce qui constitue la plus belle et douloureuse section du film, l’histoire du jeune Xiao Hui qui, après avoir provoqué sans le vouloir un accident dans une première usine, migre vers la province du Guangdong et se fait embaucher dans un sex-club où il sert à boire, tandis que les filles déguisées en gardes rouges aguichent les clients fortunés.

Depuis Xia Wu, artisan pickpocket, Platform, The World ou Still Life (lion d’or), le cinéaste, né en 1970, s’est imposé à l’international comme le plus pénétrant observateur d’un monde moral, environnemental, paysager, dévasté. Il a fini par devenir un artiste que le pouvoir a renoncé à ennuyer. Touch of Sin, selon lui, devrait sortir non censuré en Chine. Le film marque un tournant dans sa carrière dans la mesure où son art descriptif précis et détaillé se disloque soudain pour s’ouvrir aux codes sanglants du cinéma de genre (western, arts martiaux, thriller).

Touch of Sin évolue des coursives crasseuses où des mineurs avalent leur bol de nouilles debout aux salons clinquants du bar à hôtesses l’Age d’or, où les agressions à la hache jouxtent les conversations sur tablette et où le moindre écart de conduite finit en pétage de tibia pour les uns et promotion vérolée pour les autres. Ce qui n’est peut-être pas une exclusivité chinoise, après tout…

SÉLECTION OFFICIELLE EN COMPÉTITION A TOUCH OF SIN de JIA ZHANGKE avec Jiang Wu, Meng Li, Lanshan Luo… 2 h 13.

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